LES RELIGIONS, LES SOURCES DE LA MORALE, DIEU, LA VIE APRES LA MORT ET TOUT CA

(texte révisé le 13.09.13 )

 

B.Giovannini

Introduction

 

Le « besoin de transcendance » existe chez la plupart des hommes et des cultures. On utilise d’ailleurs cet aspect de la nature humaine pour dater l’apparition de l’homo sapiens, en postulant que l’existence de sépultures et de rites funéraires implique la croyance en un au-delà, et donc la croyance en un monde spirituel à côté du monde matériel qui nous entoure. Pardoxalement d’ailleurs, c’est chez nos cousins de Néandertal que les premiers vestiges de sépultures apparaissent, il y a une centaine de milliers d’années.

 

 

Le phénomène religieux dans le monde

 

Le phénomène religieux, dans le sens large du terme, est présent dans toutes les cultures.

Et d’abord qu’est-ce qu’une religion ? André Comte-Sponville, étendant un peu la définition de Durkheim,  définit la religion comme suit (réf.8):

« J’appelle religion tout ensemble organisé de croyances et de rites portant sur des choses sacrées, surnaturelles ou transcendantes, et spécialement sur un ou plusieurs dieux, croyances et rites qui unissent en une même communauté morale ou spirituelle ceux qui s’y reconnaissent ou les pratiquent »(réf. 8 p.16).

Comte-Sponville commente également les deux étymologies possibles du mot religion: « religare »  (relier) ou « relegere » (recueillir ou relire). La première de ces étymologies pourrait se référer au caractère communautaire des religions, le second enracine la religion dans des traditions.

Mais au-delà de l’aspect sociologique, décrit par la définition de Comte-Sponville, la religion a aussi un aspect personnel et utilitaire : les personnes croyantes sont en dialogue quasi-permanent avec des êtres invisibles, des esprits, qui peuvent leur apporter des bienfaits mais aussi des malheurs .

 En fait, comme le montre Pascal Boyer (réf.3)  ce qui caractérise aussi le phénomène religieux semble être la croyance en un monde d’esprits invisibles, mais qui nous connaissent et nous entourent, et l’existence de rites, dont le but en général est de communiquer avec ces esprits. La préoccupation pour l’existence d’un Dieu omnipotent et la préoccupation pour un au-delà bienheureux et éternel sont plus particulièrement caractéristiques des civilisations issues du Moyen Orient. Ce qu’on pourrait appeler religion en Inde, en Afrique traditionnelle, en Chine ou au Japon ont des connotations très différentes. Dans la plupart des « religions » cependant, il y a une préoccupation pour ce qui arrive après la mort. Pour beaucoup de religions on devient un « esprit », ou un ancêtre , qui continue à observer les vivants, pour d’autres on est réincarné dans un cycle qui aboutit à l’anéantissement dans le nirvana. Pour les religions issues de la Bible, il existe un au-delà éternel, dans lequel les bons sont récompensés et les méchants punis.

 Le livre de Pascal Boyer (réf. 3) tente d’analyser le phénomène religieux dans toute son ampleur, et tente d’y apporter une explication satisfaisante. Il dit au début :

Presque toutes les théories sur l’origine des religions se ramènent à une des explications suivantes : l’esprit humain a soif d’explications ; le cœur humain a besoin de réconfort ; la société humaine a besoin d’ordre ; l’intellect humain est enclin à l’illusion (réf.3 p.13)

Mais Pascal Boyer juge qu’aucune de ces théories n’est réellement satisfaisante, et il cherche la solution dans une analyse du fonctionnement de notre cerveau, lui-même produit de l’évolution darwinnienne. Pourquoi certaines idées sont-elles acceptées facilement par notre cerveau, et transmises à d’autres, alors que d’autres dont rejetées ? Notre cerveau est un organe qui fonctionne de façon très étrange, que nous commençons seulement à comprendre. Il semble en particulier fonctionner de manière modulaire. Chacun de ces modules, ou système d’inférence, lui-même composé de sous-modules, fonctionne largement à notre insu, et a une fonction très spécifique. Pascal Boyer cite notamment (p. 310) le système de psychologie intuitive (qui nous permet de « sentir » les intentions de nos semblables (et dont les autistes sont déprivés), le système d’échanges (qui nous permet de donner en mesure que nous recevons), le système moral (qui permet de juger rapidement si un acte est moral ou non).

Alors qu’en est-il de notre croyance en l’existence d’esprits qui nous connaissent et nous observent, et qui peuvent savoir à tout instant ce que nous pensons ? Pascal Boyer l’explique par notre désarroi devant la mort, que certains animaux (les éléphants, les chats ..) semblenrt ressentir aussi. Un de nos systèmes d’inférence nous dit que ce cadavre ne bougera plus, et un autre système d’inférence, qui se souvient de nos interactions sociales avec le défunt, ressent ce défunt comme toujours accessible à ces interactions sociales. Cette contradiction est résolue par l’invention d’ »esprits »(p.220), qui ont tous les attributs d’un être vivant sauf celui d’être matériel.

Ainsi selon Boyer, les concepts religieux survivent (des « mèmes ») parce qu’ils sont en harmonie avec nos systèmes d’inférence. Cet auteur insiste également sur un certains nombre d’aspects du phénomène religieux, par exemple sur son aspect pratique : les croyants vivent leur religion comme un échange social permanent avec un monde spirituel, ave lequel on dialogue sur les questions pratiques de tous les jours (maladie, espoirs, etc) (p.308), ou encore sur le phénomène qui nous permet de mémoriser facilement des objets ou des personnes dont toutes les caractéristiques sont familières, sauf une (par exemple un montagne qui mange ou des animaux qui parlent, ou des personnes qui sont des esprits etc) (p.322)

On pourrait aussi mettre dans cette catégorie la croyance dans un au-delà de vie éternelle. Vie éternelle est presque une contradiction dans les termes, car la vie est tout entière construite dans le temps.

 

L’encyclique Spe Salvi réf.6)  est un texte fascinant : Vieillot par certains de ses aspects (notamment son obsession avec des disputes philosophiques d’un autre âge, sur le marxisme ou le rêve des philosophes des Lumières que la science allait apporter le bonheur à l’humanité. (Qui pense encore en ces termes aujourd’hui ? ), il pose tout de même la question de la foi en Dieu en des termes qui reflètent assez bien les préoccupations de certains des textes athées présentés ici. 

Ainsi elle se pose de façon concrète la question de l’éternité. Vivre éternellement est-il vraiment souhaitable ?

« Mais alors se fait jour la question suivante: voulons-nous vraiment cela – vivre éternellement? Peut-être aujourd'hui de nombreuses personnes refusent-elles la foi simplement parce que la vie éternelle ne leur semble pas quelque chose de désirable. Ils ne veulent nullement la vie éternelle, mais la vie présente.. Continuer à vivre éternellement – sans fin – apparaît plus comme une condamnation que comme un don. Bien sûr, on voudrait renvoyer la mort le plus loin possible. Mais vivre toujours, sans fin – en définitive, cela peut être seulement ennuyeux et en fin de compte insupportable. » (réf. 6 p. 7) « D'une part, nous ne voulons pas mourir; surtout celui qui nous aime ne veut pas que nous mourions. D'autre part, il est vrai que nous ne désirons pas non plus continuer à exister de manière illimitée et même la terre n'a pas été créée dans cette perspective. Alors, que voulons-nous vraiment? » (réf.6 p.8) « Nous pouvons seulement chercher à sortir par la pensée de la temporalité dont nous sommes prisonniers et en quelque sorte prévoir que l'éternité n'est pas une succession continue des jours du calendrier, mais quelque chose comme le moment rempli de satisfaction, dans lequel la totalité nous embrasse et dans lequel nous embrassons la totalité. Il s'agirait du moment de l'immersion dans l'océan de l'amour infini, dans lequel le temps – l'avant et l'après – n'existe plus. » (réf.6, p.9) Cette vision se rapproche étonnament du nirvana, et du « sentiment océanique » discuté par André Comte-Sponville, lorsqu’il parle de « mysticisme athée ». En réalité, tout notre être est construit dans le temps, et il est très difficile d’imaginer une survie « hors du temps ».

 

D’où vient l’universalité du phénomène religieux ? Explications darwinniennes.

 

Richard Dawkins, dans un livre très résolument athée  (réf.4) (dont le caractère militant est à placer dans le contexte des controverses sur le créationisme aux Etats-Unis) , tente de trouver la source du phénomène religieux. Dans une perspective darwinnienne, le sentiment religieux doit avoir eu un avantage sélectif, mais lequel ? Cette question est longuement discutée dans son chapitre 5 (pp.161 ss). Dawkins souligne le fait que l’hypothèse d’avantage sélectif doit être analysée avec subtilité et prudence. Quel peut être par exemple l’avantage sélectif de la queue du paon ? cette queue ralentit sa course, le rendant plus vulnérable aux prédateurs, mais elle semble être le signal d’un organisme sain et être ainsi un critère de choix par les femelles du paon, un fait vérifié par de récentes expériences.

Richard Dawkins évoque la possibilité que le sentiment religieux soit le produit secondaire d’un autre trait favorisé par l’évolution, et il discute en particulier la crédulité des enfants,( qui a des avantages évidents) , qui avalent à peu près tout ce que leurs parents leur disent (réf.4 p.176). Cette crédulité favoriserait la transmission d’idées religieuses (de mèmes religieux ) quelle que soit leur niveau d’invraisemblance. Richard Dawkins cite aussi l’analogie entre sentiment religieux et le sentiment de tomber amoureux (réf.4 p. 184), mais également d’autres possibilités.

Dans le même chapitre Richard Dawkins parle de la théorie des mèmes, qui sont des unités d’information culturelle qui ont la propriété de se répliquer, un peu comme les gênes dans le monde matériel.

Notons qu’un programme de recherche européene va se développer ces prochaines années pour explorer les sources du phénomène religieux  (The Economist March 22nd 2008 p.83)

 

 

 

 

Quelle est la source de la morale ?

 

Pour un croyant la morale nous est donnée par Dieu, via la loi naturelle. Le problème est évidemment d’interpréter cette loi naturelle, et de comprendre pourquoi notre jugement moral a évolué au cours des siècles (en ce qui concerne la peine de mort, par exmple, ou l’égalité entre hommes et femmes etc). Pour beaucoup de croyants, si Dieu n’existe pas, tout est permis. Pour un incroyant, la question est de savoir d’où vient notre sens moral.

 

Richard Dawkins explore quatre aspects de notre sens éthique :

  1. Est-il compatible avec une vision darwinnienne, en ce qui concerne en particulier l’altruisme ?

A première vue, l’altruisme es t un problème difficile dans une interprétation darwinnienne du sens moral. Il semble que la survie du plus apte signifie inévitablement que c’est l’égoïsme qui doit toujours être favorisé. Mais il suffit d’observer que la plupart des animaux sont prêts à se sacrifier pour leur progéniture pour voir que ce n’est pas si simple. Une espèce qui laisserait mourir sa progéniture serait vite éliminée. On voir donc que la sélection darwinienne favrise la survie d’entités à différents niveaux : l’individu, certes, mais aussi l’espèce, ou les proches, ou les gènes etc Richard Dawkins donne la priorité aux gènes (le fameux gène égoïste). Il cite plusieurs mécanismes par lesquels opère la sélection d’un comportement altruiste (réf.4 p. 216 et ss.)

  1. Le sens moral est-il universel (le même dans toutes les cultures) ? Richard Dawkins cite une série d’expériences invoquant par exemple un wagon fou que l’on peut sauver par certaines actions, et ces expériences montrent que différentes cultures ont ( en moyenne) le même jugement moral (réf.4  p.22 et ss.).
  2. la religion améliore-t-elle notre sens moral ? On peut aussi se poser la question subsidiaire : la religion a-t-elle eu une influence positive sur l’évolution del’humanité ? C’est une quesion complexe, car la religion a été (et est encore) la source des pires intolérances et des pires atrocités (si on détient la vérité, on est autorisé à faire tout ce qu’on peut pour éliminer l’erreur), mais la religion a été aussi la source d’évolutions culturelles positives, un point de vue particulièrement défendu par Comte-Sponville, Dawkins cite une statistique intéressante : aux Etats-Unis, les états conservateurs,  plus religieux que les états « libéraux », ont un taux de crime plus élevé que ceux-ci (réf. 4 p.229)
  3. les croyants dérivent-ils leur éthique de la révélation ? il suffit de lire la Bible ou le Coran pour se rendre compte qu’aujourd’hui les croyants se gardent bien de suivre l’ensemble des recommandations et exemples donnés dans ces livres, mais distinguent entre  ceux qu’ils estiment encore pertinents et ceux qui sont jugés dépassés par l’évolution de la morale. Si on lit la Bible de près, on se rend compte d’ailleurs que le Dieu de la Bible es t un personage bien antipathique : sanguinaire, jaloux, intolérant, misogyne, épurateur ethnique etc. Et les exemples moraux dans la Bible sont bien souvent fort peu édifiants ( réf. 4 p.239 et ss).

 

En fait, la morale a évidemment évolué dans la période historique, la peine de mort ou la torture, ou le racisme, ou l’égalité entre hommes et femmes en sont des exemples (voir réf.4 p. 262 et ss)

 

 

 

 

 

L’apport des religions au bien-être et au progrès de l’humanité

 

Sur ce thème, même parmi les athées, les avis divergent. Pour beaucoup, la religion a surtout apporté le pire : les persécutions, l’intolérance, les tueries. Mais les tueries les plus épouvantables (par exemple la Shoah) n’ont pas eu besoin de religion pour se justifier.

 

La fidélité aux valeurs

 

La religion véhicule aussi des traditions, des valeurs , une culture. Peut-on garder ces valeurs tout en étant athée ? André Comte-Sponville insiste particulièrement sur ce point. Il se définit comme athée fidèle, parce qu’il

« se reconaît dans un certaine histoire, une certaine tradition,..et spécialement dans ces valeurs judéo-chrétiennes ..qui sont les nôtres. » (réf. 8 p. 42)

 

Le besoin de spiritualité

 

Que l’on soit croyant ou non, le besoin de spiritualité est indéniable. Mais qu’est-ce que la spiritualité si l’on ne croit pas à l’existence d’une âme dont l’existence peut être indépendante du corps qu’elle habite ? André Comte-Sponville consacre tout un chapitre de son livre à cette question. Selon lui, la spiritualité trouve son aboutissement dans « un sentiment d’union indissoluble avec le grand Tout, et d’appartenance à l’universel » (réf.8 p. 161).  Ce « sentiment océanique » que l’on  éprouve parfois par exemple devant la beauté de la nature, est très proche des descritpions du bonheur de la philosophie orientale, et pas si éloignée de ce que dit l’encyclique (voir plus haut).

 

L’existence d’un Dieu personnel et attentif

 

Le Dieu de la tradition biblique, qu’il concerne les juifs, les chrétiens ou les musulmans, est un Dieu tout puissant, qui a créé l’univers, et qui se préoccupe du destin de chacun d’entre nous, avec amour et miséricorde.

Ce Dieu existe-t-il ?

Précisons la terminologie : on peut être théiste, croire en un Dieu personnel et attentif aux pensées et aux actes de chacun d’entre nous, on peut aussi être déiste, croire en un Dieu personnel qui s’est contenté de créer l’univers, mais ne sepréoccupe pas de nous (c’était l’opinion de Voltaire et Diderot), on peut aussi identifier la cause ultime de toutes choses (le Dieu d’Aristote) avec l’univers lui-même (c’est le Dieu de Spinoza, que l’on identifie au panthéisme). (v. réf. 4, p.18)

 

            Les arguments (« preuves ») pour l’existence de Dieu

 

Il y a d’abord les « preuves » « cosmologiques », les cinq « preuves » de Saint Thomas d’Aquin, inspirées d’Aristote, qui partent de l’idée que tout effet a une cause, et que de cause en cause il faut arriver à une cause première, qui, parfaite, est la cause d’elle-même, Dieu. Les causes considérées par Aristote sont la cause matérielle, formelle, efficiente et finale.

 

« Thomas d'Aquin dit qu'il y a cinq voies (quinquae viae) pour prouver que Dieu existe :

par le mouvement : les choses sont constamment en mouvement, or il est nécessaire qu'il y ait une cause motrice à tout mouvement. Afin de ne pas remonter d'une cause motrice à une autre, il faut reconnaître l'existence d'un Premier moteur non mû : c'est Dieu.

par la causalité efficente (ex ratione causae efficientis) : nous observons un enchaînement de causes à effet dans la nature, or il est impossible de remonter de causes à causes à l'infini ; il faut nécessairement une Cause Première : c'est Dieu

par la contingence : il y a dans l'univers des choses nécessaires qui n'ont pas en elles-mêmes le fondement de leur nécessité. Il faut donc un Être par Lui-même nécessaire qui est Dieu.

par les degrés des êtres : preuve reprise de Platon, qui a remarqué qu'il y a des perfections dans les choses (bien, beau, amour, etc.) mais à des degrés différents. Or il faut nécessairement qu'il y ait un Être qui possède ces perfections à un degré maximum, puisque dans la nature toutes les perfections sont limitées.

par l'ordre du monde : On observe un ordre dans la nature : l'œil est ordonné à la vue, le poumon à la respiration, etc. Or à tout ordre il faut une intelligence qui le commande. Cette Intelligence ordinatrice est celle de Dieu.

Il faut noter que Thomas d'Aquin n'avait aucunement pour but de prouver l'existence de Dieu ; en effet, s'adressant à des étudiants en théologie (c'est à dire des frères prêcheurs, des prêtres, etc...), il n'y avait aucune intention de leur prouver l'existence de Dieu, car elle était évidente. L'intention de Thomas d'Aquin était plutôt de montrer que l'on pouvait accéder à Dieu avec la raison naturelle en partant de ce que l'on constate du monde. C'est pourquoi ce ne sont pas des preuves, mais des voies. » (encyclopédie Wikipedia)

 

Il y a aussi la « preuve ontologique », attribuée à Saint Anselme ( la définition de Dieu est qu’il est parfait, s’il n’existait pas, il ne serait pas parfait, donc il existe).

 

La 5ème preuve est citée par André Comte-Sponville sous le nom de preuve physico-théologique : l’ordre et la beauté du monde impliquent un dessein intelligent, un horloger.

 

L’encyclique ajoute deux nouvelles « preuves », qui, logiquement ressemblent un peu à la « preuve » ontologique (ce que je pense a des implications dans le monde réel). Ces deux preuves sont la preuve par la foi (je crois en Dieu, donc il existe), et la preuve par l’espérance (un monde sans Dieu est un monde sans espérance, dans lequel la vie n’a pas de sens, donc Dieu existe). Dans le texte, pour la première « preuve » : « la foi est la « substance » des réalités à espérer; la preuve des réalités qu'on ne voit pas ».

 

            Les arguments contre ces « preuves »

 

André Comte-Sponville, de tous les auteurs cités dans ce texte, est celui qui discute de façon la plus approfondie les différents arguments pour ou contre l’existence d’un Dieu personnel et attentif (réf. 8 chap II).

Brièvement : André Comte-Sponville  discute tout d’abord les « preuves » traditionnelles. Sur la preuve ontologique, il dit ce que beaucoup de monde ont dit avant lui : comment une définition pourrait-elle prouver une existence ? (réf. 8 p.91). Sur les « preuves » « cosmologiques », il dit qu’on peut à la rigueur accepter qu’il existe une cause première, un être qui porte, comme le dit Leibniz, la raison de son existence avec soi. Mais qui prouve que cet être est une personne ? Cela pourrait être l’univers, comme le pensait Spinoza, le Tao de Lao-Tseu etc (réf 8 p.95)

Sur la preuve physico-théologique , Comte-Sponville mentionne qu’elle a beaucoup souffert des progrès de la science. On comprend aujourd’hui par exemple que la complexité du vivant a été produite pas la sélection naturelle.

 

 

Les arguments contre l’existence de Dieu

 

L’argument qu’on rencontre le plus souvent contre l’existence de Dieu est celui du mal, de la soufrance, surtout la souffrance des innocents. Des générations de penseurs ont réfléchi à ce problème insoluble : comment concilier l’existence d’un Dieu tout puissant et infiniment bon avec le Mal. L’encyclique l’exprime très bien

 « L'athéisme des XIXe et XXe siècles est, selon ses racines et sa finalité, un moralisme: une protestation contre les injustices du monde et de l'histoire universelle. Un monde dans lequel existe une telle quantité d'injustice, de souffrance des innocents et de cynisme du pouvoir ne peut être l'œuvre d'un Dieu bon. Le Dieu qui aurait la responsabilité d'un monde semblable ne serait pas un Dieu juste et encore moins un Dieu bon. C'est au nom de la morale qu'il faut contester ce Dieu. Puisqu'il n'y a pas de Dieu qui crée une justice, il semble que l'homme lui-même soit maintenant appelé à établir la justice. » (réf 6 p.23) :

Pour la théologie classique , le Mal est la conséquence de nos fautes : » la souffrance fait aussi partie de l'existence humaine. Elle découle, d'une part, de notre finitude et, de l'autre, de la somme de fautes qui, au cours de l'histoire, s'est accumulée » (réf 6 p.20)

André Comte-Sponville cite cinq autres arguments contre l’existence de Dieu : l’absence de preuves, la faiblesse des expériences (pourquoi Dieu se cache-t-il ? l’idée d’un père qui cache son existence à ses enfants est absurde), une explication incompréhensible (on explique le monde que l’on ne comprend pas par quelque chose que l’on comprend encore moins, (voir ci-dessous l’argument de Richard Dawkins), le fait que Dieu représente presque trop bien tout ce qu’on peut désirer ( « Dieu est trop désirable pour être vrai, la religion trop réconfortante pour être crédible » (réf.8 p. 136))

Le dernier argument de André Comte-Sponville est le plus original: la médiocrité de l’homme. Comment croire qu’un Dieu infiniment bon et infiniment puissant ait pu créer un être aussi médiocre ; capable certes de grandes choses, mais aussi des pires, et surtout en moyenne assez médiocre. L’explication par le péché originel est dérisoire. L’explication par l’évolution darwinienne est nettement plus compréhensible, selon André Comte-Sponville (réf. 8 p. 129).

Richard Dawkins reprend contre l’existence de Dieu un des arguments de Comte-Sponville: on essaye d’expliquer la complexité de l’être, notamment du vivant, par l’existence préliminaire d’un être créateur. Mais cet être est encore infiniment plus complexe que tout être vivant, capable notamment de suivre de façon continue les pensées de milliards d’hommes, plus éventuellement celles d’autres êtres intelligents de l’univers. Et qui peut expliquer l’existence d’un tel être ? C’est infiniment plus difficile que d’admettre que l’univers matériel existe par lui même (réf. 4 p. 157) et évolue selon des règles physiques, peut-être mutliples dans l’hypothèse d’un multivers.

 

Explication matérialiste et présence d’un Dieu

 

La plupart des scientifiques (qu’ils soient croyants ou non) sont matérialistes, c.à.d. qu’il s visent à expliquer les phénomènes de l’univers par des lois physico-chimiques. En fait pour la plupart des scientifiques, l’idée d’un Dieu qui interviendrait sans cesse dans les affaires du monde est étrange, car cela signifierait un Dieu qui violerait sans cesse les règles qu’il a lui-même instituées. Ce point est très important pour les scientifiques, et il est souligné par K.R. Miller (réf.2) (qui se déclare croyant) mais il est peu discuté par les théologiens .

Mais pour l’encyclique, d’une façon mystérieuse « Ce ne sont pas les éléments du cosmos, les lois de la matière qui, en définitive, gouvernent le monde et l'homme, mais c'est un Dieu personnel qui gouverne les étoiles, à savoir l'univers; ce ne sont pas les lois de la matière et de l'évolution qui sont l'instance ultime, mais la raison, la volonté, l'amour – une Personne » (réf.6. p.4) Et, plus loin, « La vie n'est pas un simple produit des lois et des causalités de la matière, mais, en tout, et en même temps au-dessus de tout, il y a une volonté personnelle »

Ce thème pose d’ailleurs de façon plus générale la question de l’interface entre un monde spirituel (par exemple l’âme humaine) et le monde matériel. Chaque fois qu’un être spirituel interagit avec le monde matériel, par exemple l’âme avec le cerveau, il doit nécessairement violer les lois physiques, notamment la loi de conservation de l’énergie. Encore une fois, cette question, qui semble péremptoire pour les scientifiques, ne semble pas interpeler les théologiens. Dans son livre, K.R. Miller (réf.2 ), qui se déclare scientifique, croyant et darwinin s’intéresse à ce problème et défend une position que l’on recontre parfois : comme la physique classique est toalement déterministe, il n’y a dans ce cadre conceptuel place ni pour la liberté de l’homme, ni pour des interventions de Dieu qui respecteraient les lois de la nature (en ce qui concerne notre sentiment de liberté, les récentes recherches sur le fonctionnement du cerveau pourraient indiquer que ce sentiment est une illusion, mais ceci est une autre histoire…) Devant ce dilemme K.R Miller fait intervenir la mécanique quantique, qui a un élément aléatoire. La mécanique quantique est une théorie qui prédit ( de façon déterministe) le résultat statistique des mesures, mais pas le résultat de chaque mesure individuelle. Dieu se glisserait dans cette fenêtre partiellement aléatoire pour régir le monde. Comme il n’y a pas de consensus dans le monde des physiciens sur l’interprétation ontologique de la mécanique quantique (voir par exemple l’article de F. Dyson dans Science and the ultimate reality J.D.Barrow, P.C. Davies et C.L. Harper eds  Cambridge University Press 2004), il est difficile de discuter le point de vue de Miller du point de vue scientifique.

Mais s’il est vrai que l’interaction d’un Dieu (ou d’un autre être spirituel) avec le monde matériel viole les lois de la Nature, une telle interaction est en principe mesurable. Richard Dawkins discute une expérience de ce genre dans laquelle un certain nombre de malades sont sujets à une expérience dans laquelle un groupe est sujet à des prières ferventes (pour la guérison) mais sans le savoir, un second groupe est sujet à des prières d’intercession, mais est au courant de l’expérience, et un troisième groupe est laissé en paix. Le résultat est que le deuxième groupe est celui dont la santé s’est le plus dégradée (réf.4 p. 62). Précisons que l’expérience a été menée sous l’égide d’une Fondation qui défend les points de vue fondamentalistes au E :U : la Templeton Foundation.

 

Jacques Arnould ( réf.9) analyse l’influence de la révolution darwinienne sur la théologie. On comprend mieux en lisant ce livre le choc qu’a été la théorie de Darwin pour les croyants et les théologiens chrétiens. Il ne s’agit pas en général du problème d’une lecture littérale de la Bible, que peu de gens soutenaient,(S.Augustin déjà parlait de description symbolique..) mais de la transformation d’un monde ordonné et préparé pour un but en un monde aléatoire et contingent, dans lequel le rôle de Dieu devient beaucoup plus abstrait et lointain.

« En réhabilitant l’idée de contingence, la biologie moderne ne s’est pas contentée d’affirmer avec plus d’insistance le rôle du hasard au sein du monde vivant et de son histoire, au détriment du progrès continu, déterminé, ordonné tel que la tradition chrétienne le décrit habituellement. Cette réhabilitation concerne la lecture globale qui peut être faite de la réalité vivante.. »(réf.9 p.87)

Jacques Arnould réfléchit aussi au rôle de la finalité dans le monde vivant, que Jaques Monod dans son livre célèbre préfère appeler téléonomie. Les être vivants ont en effet la propriété « d’être des objets doués d’un projet qu’à la fois ile représentent dans leur structures et accomplissent par leur performance » (Jacques Monod  Le Hasard et la Nécesssité Seuil (1970) p.22).

Mais Jacques Arnould se garde d’identifier téléonomie avec une cause finale transcendante.

Evidemment cet « éloignement de Dieu par rapport aux phénomènes naturels » avait commencé avec la révolution copernicienne (ce qui avait beaucoup perturbé Newton) , mais le mystère de la vie restait un domaine réservé à Dieu, mystère qui semblait hors d’atteinte de la science. La troisième révolution citée par Jacques Arnould, la révolution freudienne, avait fait l’hypothèse du subconscient, hypothèse confirmée par la science moderne qui a établi qu’une grande partie du fonctionnement de notre cerveau échappe à notre conscience. Ce fait est explicable par la théorie de l’évolution, mais difficile à expliquer si nos pensées sont gérées par une âme immortelle créée directement par Dieu.

 

Que la science rende compliquée l’inteprétation du monde par l’existence d’un Dieu a fait que les Eglises ont toujours été très méfiantes et hésitantes vis-à-vis de la science. Richard Dawkins cite notamment S.Augustin

« There is another form of temptation, even more fraught with danger. This is the desease of curiosity. It is this which drives us to try and discover the secrets of nature, those secrets which are beyond our understanding, which can avail us nothing and which man should not wish to learn » (réf.4 p.132)

et Luther :

« Reason is the greatest enemy that faith has ; it never comes to the aid of spiritual things, but more frequently than not struggles against th divine word, treating with contempt all that emanates from God » (ref.4 p. 190)

Et il est inutile ici de rappeler le procès de Galilée, justifié encore récemment par le futur Benoît XVI. Ou le temps qu’il a fallu à l’Eglise pour accepter que la théorie de Darwin était une hypothèse valable. Mais cette méfiance vis-à-vis de la connaissance a sa source dans la Bible, puisqu’Adam a été condamné pour avoir voulu avoir la connaissance du bien et du mal. Dans un passage étonnant de la Divine Comédie, Dante fait dire à  Ulysse, s’adressant à ses compagnons :

 

« Considerate la vostra semenza :

fatti non foste a vivir come bruti,

ma per seguir virtute e conoscenza » (Enfer chant XXVI, vers 118)

 

On peut dire d’ailleurs que la méfiance des églises envers la science est bien justifiée, puisqu’il est établi que la grande majorité des scientifiques aujourd’hui sont incroyants, et que même il y a une corrélation négative entre l’intelligence et l’éducation d’une part et la foi d’autre part (voir réf. 4 pp 97 et ss.) S. Thomas d’Aquin lui-même, un homme suprêmement intelligent, finit par douter de tout ce qu’il avait écrit (

 

Dans le reste de son livre Jacques Arnould fait une synthèse de certaines tentatives récentes de réconcilier la théologie avec les données de la science moderne. Il s’agit en particulier de situer Adam ou le péché originel dans ce que nous savons aujourd’hui de l’évolution de l’humanité. Et il y a le « gouffre du temps », le temps passé : les 150'000 de l’histoire de l’homo sapiens entre la « faute » et la rédemption, et le gouffre du temps à venir : peut-être des millions d’années pour l’humanité, avec une maîtrise totale des mécanismes de la vie.

 

Le mot contingence ne plaît pas à Christian de Duve (réf.10. p.350) pour lequel le hasard n’exclut pas l’inévitabilité. Cet auteur consacre l’essentiel de son livre à une description très détaillée d’un scénario possible du développement de la vie. Selon cet auteur, (et beaucoup de scientifiques aujourd’hui), étant données les conditions favorables, la vie se développe presque obligatoirement. Que l’humanité se soit développée comme elle l’a fait en ce moment précis de l’histoire de l’univers, et sur cette planète-ci est certainement, d’un point de vue scientifique, un événement totalement contingent. Mais que, étant donné l’immensité de l’univers (peut-être même infini), que la vie et la vie intelligente se développent quelque part à un certain moment est inévitable, un point de vue défendu par Richard Dawkins (réf.4) . La vie, et la vie intelligente sont de ce point de vue, à la fois un phénomène totalement contingent, mais aussi inévitable. Les théologiens se posent évidemment ainsi les questions relatives à l’existence d’autres êtres intelligents dans l’univers. Sont-ils aussi victimes de la Faute d’Adam ? Le Christ les a-t-il aussi sauvés ? etc Un exemple est donné par la théorie de André Léonard parlant d’un Adam métahistorique , situé en dehors de notre espace-temps (réf  9, p. 211). Evidemment cet Adam métahistorique peut avoir causé la chute de toute vie intelligente dans l’univers.

 

Si Dieu existe, on peut penser que, en créant cet immense univers, il avait peut-être un projet plus grandiose que choisir un peuple élu dans une petite tribu d’une petite planète dans un coin d’une des galaxies. Notons en passant que la notion d’un Dieu qui n’est que très imparfaitememt connaissable par l’intelligence humaine est une des traditions de la religion musulmane, et ce fait est le sujet principal du fameux discours de Ratisbonne de Benoît XVI qui a suscité toutes les controverses que l’on connaît : Dieu est-il connaissable par la raison humaine ou est-il absolument transcendant ?

 

 

 

 

 

 

Et qui fera la vaisselle ? L’espérance chrétienne et l’attitude athée.

 

Pour le chrétien, nous sommes fils d’un Dieu infiniment bon et misérocordieux, la souffrance est la rétribution de nos péchés, et Dieu rétablira la justice à la fin des temps. L’enfant juif torturé à mort à Auschwitz jouira d’un bonheur éternel. Pour l’encyclique, cette attente de justice est le plus fort argument en faveur de la résurection des corps et la vie éternelle

« Je suis convaincu que la question de la justice constitue l'argument essentiel, en tout cas l'argument le plus fort, en faveur de la foi dans la vie éternelle «  (réf 6 para 43)

André Comte-Sponville résume cette position et celle de l’athée :

« Si vous croyez en Dieu, que vous est-il permis d’espérer ? Tout, en tous cas l’essentiel : le triomphe ultime de la vie sur la mort, de la justice sur l’injustice, de la paix sur la guerre, de l’amour sur la haine, du bonheur sur le malheur » (réf. 8 p. 62)

 Si l’on est athée, par contre, on doit accepter notre mortalité et vivre notre vie par l’amour et l’action. Le sage vit au présent, il sait que rien ne viendra corriger les actes non faits ou l’amour perdu.

« Le Royaume, c’est ici et maintenant. A nous d’habiter cet espace à la fois matériel et spirituel..où rien n’est à croire, puisque tout est à connaître,, où rien n’est à espérer, puisque tout est à faire ou à aimer.. » (réf.8 p.70)

 

Pour le matérialiste, qu’il soit croyant ou non , nous somme fils de la nature. La soufrance et la mort sont l’apanage de tous les êtres vivants, du moins ceux qui ont un système nerveux. Pour l’athée,  personne ne rétablira la justice, le mal fait est irrémédiable, nous sommes seuls responsables, avec d’autres peut-être dans l’univers.

Cette attitude conduit chez beaucoup à un recours à la solidarité humaine comme sens à la vie. La solidarité (la commumanté) est d’ailleurs un des ressorts du sentiment religieux. Ce retour aux valeurs de solidarité est particulièrement sensible dans la réf. 7, mais il est aussi tout à fait évident dans l’action pastorale de beaucoup de prêtres et pasteurs, qui devant l’irreligiosité croissante aujourd’hui mettent l’accent sur les activités de solidarité sociale. L’encyclique (réf.6) met aussi l’accent sur l’aspect communautaire de l’espérance chrétienne.

Pour la plupart de chrétiens, Dieu intervient dans nos vies, pour les guider, et guider le monde vers la rédemption. Pour les athées nous sommes seuls reponsables. Pour les chrétiens, c’est l’espérance qui donne un sens à la vie, mais, pour les athées, et pour paraphraser Comte-Sponville, cette espérance est trop belle pour être vraie.

 

 

Références :

 

1. Debray (Régis) (2005)  Les communions humaines   Fayard

2. Miller (Kenneth R.) (1997) Finding Darwin’s God Harper Perennial

3. Boyer (Pascal) (2001) Et l’homme créa les dieux Robert Laffont

4. Dawkins (Richard) (2006) The God delusion Houghton Mifflin

5.

6. Lettre encyclique SPE Salvi (2007) http://vatican.va/holy_

7. Jacquard (Albert)  Dieu ?

8. André Comte-Sponville (2006) L’esprit de l’athéisme Albin Michel

9. Arnould (Jacques) (1998) La théologie après Darwin Les éditions du Cerf

10. de Duve (Christian) (2002) A l’écoute du vivant Odile Jacob